Les interactions entre managers et collaborateurs sont souvent riches, mais parfois complexes. Parmi les outils permettant de mieux comprendre ces dynamiques, le triangle dramatique de Karpman se distingue par sa simplicité et son efficacité. Initialement conçu dans le cadre de l’analyse transactionnelle, il met en lumière trois rôles dysfonctionnels dans les relations interpersonnelles : Victime, Persécuteur, et Sauveur. Bien que ces positions ne définissent pas la personnalité, elles illustrent des comportements adoptés dans certaines situations.
En tant que manager, connaître ces mécanismes est essentiel. Pourquoi ? Parce qu’ils apparaissent souvent de manière subtile, fragilisent la communication et peuvent nuire à l’efficacité collective. Analysons ensemble ce triangle et voyons comment il se traduit dans la pratique managériale.
Comprendre les trois rôles du triangle de Karpman
La Victime
La Victime ne se perçoit pas comme responsable de sa situation. Elle adopte un discours qui minimise ses capacités : « Je n’y arriverai jamais », « Ce n’est pas ma faute ». Dans un contexte professionnel, ce comportement se traduit par un collaborateur qui subit, se plaint ou renvoie systématiquement la responsabilité à l’extérieur.
Le Persécuteur
Le Persécuteur impose, critique et exerce une forme de domination. Il adopte un ton autoritaire, donne des ordres sans explications ou dévalorise. Côté management, cela peut être un chef qui reproche sans proposer de solutions : « Vous n’êtes jamais à l’heure ! », « On ne peut pas compter sur toi ».
Le Sauveur
Le Sauveur agit par excès de protection. Il veut aider, parfois sans qu’on le lui demande, et prend à sa charge les problèmes des autres : « Laisse, je vais le faire pour toi ». Au travail, il s’agit du manager qui se substitue à son équipe par peur qu’elle échoue, ce qui freine l’autonomie.
Ces trois rôles, loin d’être figés, interagissent. Le triangle dramatique se met en place dès qu’une tension relationnelle survient, et chacun peut passer d’un rôle à l’autre en quelques minutes.
Comment le triangle se manifeste en entreprise ?
Imaginons une scène fréquente : un collaborateur se plaint de sa charge de travail (Victime) :
➡ « Je ne peux pas finir ce projet, on me demande l’impossible ! »
Le manager, voulant bien faire, répond :
➡ « Ne t’inquiète pas, je vais m’en occuper » (Sauveur).
Plus tard, ce même manager, fatigué par la répétition, s’agace :
➡ « Franchement, tu pourrais faire un effort, ce n’est pas compliqué ! » (Persécuteur).
En quelques échanges, les trois rôles se succèdent. Cette dynamique est fréquente, car chaque rôle répond à un besoin psychologique : reconnaissance pour le Sauveur, contrôle pour le Persécuteur, assistance pour la Victime.
Pourtant, cette spirale est toxique. Elle enferme chacun dans une posture infantilisante et empêche la responsabilisation. Comprendre ces rôles, c’est la première étape pour en sortir.
Des exemples concrets de bascule entre les rôles
Exemple 1 : Le projet urgent
- Étape 1 : Un collaborateur dit : « Je n’ai pas reçu les infos pour avancer, je suis coincé » (Victime).
- Étape 2 : Le manager répond : « Pas de souci, je vais appeler le client pour toi » (Sauveur).
- Étape 3 : Après plusieurs situations similaires, il s’énerve : « À chaque fois, c’est pareil, tu ne prends aucune initiative ! » (Persécuteur).
Exemple 2 : Le feedback mal compris
- Étape 1 : Le manager critique : « Tu ne respectes jamais les délais » (Persécuteur).
- Étape 2 : Le collaborateur réplique : « Ce n’est pas ma faute si on me donne trop de tâches ! » (Victime).
- Étape 3 : Pris de remords, le manager conclut : « OK, je vais redistribuer les missions pour t’aider » (Sauveur).
Ces bascules montrent que le triangle n’est pas statique : il tourne, souvent inconsciemment.
Pourquoi les managers tombent-ils dans ce piège ?
Le triangle dramatique repose sur des besoins profonds :
- Le Sauveur cherche à se sentir indispensable.
- Le Persécuteur veut garder le contrôle.
- La Victime espère obtenir soutien et déresponsabilisation.
Dans un contexte professionnel, la pression, les urgences et le manque de communication accentuent ces dérives. Un manager bienveillant peut glisser vers le Sauveur par envie d’aider, puis devenir Persécuteur sous la contrainte du résultat.
Cette dynamique devient dangereuse, car elle favorise la dépendance et fragilise la confiance. Le rôle du manager n’est pas de sauver, mais de responsabiliser.
Sortir du triangle : passer à un mode gagnant-gagnant
Pour briser ce cycle, il faut adopter des postures responsabilisantes :
- Remplacer la posture de Victime par celle d’Acteur (Que peux-tu mettre en place ?).
- Substituer le Persécuteur par le Challengeur (Comment peux-tu améliorer cela ?).
- Transformer le Sauveur en Coach (De quoi as-tu besoin pour réussir ?).
Exemple concret :
➡ Au lieu de dire « Je vais t’aider, laisse-moi faire » (Sauveur), le manager peut dire :
« Comment veux-tu t’y prendre ? Quelles solutions envisages-tu ? » (Coach).
Cette approche responsabilise, renforce l’autonomie et préserve la qualité relationnelle.
Le triangle de Karpman : un outil puissant pour le management
Le triangle de Karpman n’est pas qu’un concept psychologique. Il est un outil pratique pour analyser et améliorer la communication managériale. Identifier les rôles, c’est comprendre les pièges relationnels, mais surtout trouver des leviers pour en sortir.
En adoptant une posture de coach plutôt que de Sauveur, en challengeant sans agresser, en favorisant l’action plutôt que la plainte, le manager contribue à un environnement plus sain, où chacun prend sa part de responsabilité.
Alors, la prochaine fois qu’un collaborateur vous dira :
➡ « Ce n’est pas possible »,
posez la question :
➡ « Qu’est-ce qui dépend de toi dans cette situation ? ».
C’est dans ce simple déplacement que réside la clé : passer du triangle dramatique au triangle vertueux.
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